Conférence sur Khalil Gibran

Bonjour, je vous souhaite un bon après-midi. Je vais commencer ma conférence en vous faisant écouter une poésie de Khalil Gibran, chantée par la diva libanaise, FeyrouzDonne-moi  le Nay :

Fairouz فيروز: أعطني الناي وغني par daou007

  • Le Nay: flûte de roseau en Orient.
  • Fayrouz: prénom signifiant perle, d’origine persane.

« Donne-moi le Nay et chante.
Le chant est le secret de l’éternité,
Et les plaintes du Nay demeurent
Après la fin de l’existence.
As-tu comme moi
Préféré pour demeure
La forêt aux châteaux
Pour suivre les ruisseaux
Et grimper sur les rochers ?
T’es-tu baigné dans le parfum
Et séché dans la lumière ?
T’es-tu enivré de l’aube
Dans des coupes remplies d’éther ?
T’es-tu, comme moi,
Assis au crépuscule,
Parmi les ceps de vigne,
Et les grappes suspendues
Comme des lustres d’or ?
T’es-tu, la nuit,
Couché dans l’herbe,
Prenant le ciel pour couverture,
Renonçant à l’avenir,
Oubliant le passé ?
Donne-moi le Nay et chante.
Oublie misères et remèdes
Car les hommes sont
Des lignes écrites,
Mais avec de l’eau ».

Qui était cet homme ? Son nom est sur les lèvres des gens dans les quatre coins du monde, grâce à son livre Le prophète  édité en 1923 et traduit dans plus de trente langues. Il est considéré comme un best-seller: plus de deux millions d’exemplaires ont été vendus depuis sa parution. En fait, c’est bien plus qu’un livre, car une énergie vit en lui, que vous pouvez probablement ressentir alors que vous le tenez entre vos mains.
Dans les pays orientaux, surtout le monde arabe, l’identité d’une personne est définie par son prénom suivi de ceux de son père et de son grand-père.

Gubrân (ou Gibran) est son prénom, le prénom que sa famille lui a donné à sa naissance, suivi du prénom de son père Khalil et de celui de son arrière-grand-père Gubrân.
Pour connaître la signification de Gibran ou Gubran,  prenez le prénom Gabriel : nom composé de Gabra qui signifie la puissance et de el c’est-à-dire Dieu (en araméen et hébreu) = la puissance de Dieu.
Même étymologie pour : Gibran , Gabbâr, Gabbour, Gabra.
Gubrân signifie puissant, très courageux, consolateur.
Khalîl est le prénom de son père. Les lettres KH se prononcent comme la jota espagnole, ou Nacht en allemand.
Khalil qui signifie en arabe : ami, intime, amant, concubin, .
Gubrân est le prénom de son arrière-grand-père, ou le fondateur de la famille.

Khalil Gibran est connu dans le monde arabe sous le nom de Gibrân Khalil Gibrân, et dans le  monde occidental sous le nom de Khalil Gibran, ou Kalil Gibran , car son nom changea lors de son  arrivée à Boston. Considérant que  son nom était trop long, seul le prénom de son père fut gardé.
En 1922, Khalil Gibran écrivait au sujet du nom :  « Il est vrai que l’âme d’une personne se trouve  dans son nom, ou que le nom est l’être ».
Dans le nom, il y a un mystère bien plus profond que nous ne l’imaginons, et des symboles bien plus significatifs et bien plus importants que ce que nous pensons.

Khalil Gibran est né le dimanche 6 janvier 1883. Sa vie a été marquée par le chiffre 6. « Les événements de ma vie surviennent par cycles de six ans, a-t-il déclaré « .  A douze ans, il quitta le Liban avec sa famille pour aller vivre aux États-Unis. En 1931, sa vie s’ acheva à l’âge de 48 ans.
La fête de Noël est célébrée le 6 janvier chez les Arméniens orthodoxes, et le 7 janvier chez les orthodoxes grecs, russes et les coptes en Égypte, c’est-à-dire que Khalil Gibran a le même anniversaire que le Christ : son image reste toujours présente dans sa vie et dans sa pensée.

Pourquoi Khalil Gibran était-il un homme mystique ? Parce qu’il est né dans un milieu naturel et spirituel :
A- Khalil Gibran fut élevé dans une belle ville, appelée Bacharri, qui se trouve au Nord du Liban, au milieu d’une nature splendide, beauté immense, terre riche de végétation et de fleurs, ciel ensoleillé le jour, étoilé la nuit, villages paisibles, grottes majestueuses.  A chaque  instant, Khalil Gibran est invité au splendide banquet de la vie. Le mystère de la nature remplit son âme, stimule ses rêves, enflamme son imagination et enrichit  sa vie artistique, émotionnelle et spirituelle.

B- Dans quel milieu spirituel a-t-il vécu ? Il nous dit : « Je suis né dans une atmosphère spirituelle, les cloches des sept églises et des trois couvents emplissaient l’air de leurs appels à la prière du matin. Et les grottes renvoyaient les échos des cloches, comme si la nature se joignait à la prière sacrée. Au cœur de ce beau paysage, avaient germé en moi les graines de la croyance et de la vision. Je voyais le monde comme une manifestation extérieure de l’Essence Divine. Lorsque j’étais enfant, la veille de Noël, nous nous rendions à l’église avec tous les habitants du village.  Nous marchions sur la neige silencieuse et profonde, une bougie à la main. A minuit, les cloches, les voix des vieillards et des enfants, s’élevaient pour entonner un vieux chant de Galilée. La voûte de la petite chapelle me paraissait s’ouvrir jusqu’au ciel ».

Depuis son enfance, Khalil Gibran a toujours aimé la solitude : il recherchait toujours un endroit magnifique, naturel, dans les montagnes majestueuses pour rester seul ou bien pour dessiner et peindre. Il dessinait  partout, à la maison, à l’école, sur les murs.
Il passa ses premières années heureuses, grâce à la tendresse de sa mère, malgré les disputes qui opposaient ses parents. Mais à l’âge de huit ans, sa vie bascula complètement  dans la pauvreté et l’humiliation : son père fut arrêté par des soldats turcs en 1891. Ils lui lièrent les mains et l’emmenèrent en prison. La scène qui se déroula sous ses yeux, bouleversa sa tranquillité et son bonheur.
Il se souviendra par la suite des rassemblements autour de leur maison et la façon dont sa mère affronta  des situations douloureuses avec courage. « Je ne savais que faire pour consoler ma mère », disait-il. Mais il se trouvait plus libre qu’avant, il pouvait  se promener dans la nature à son aise, parcourir les montagnes et la vallée. Parfois, pour réconforter sa mère, il lui exposait ses peintures et ses projets, essayant, inconsciemment de jouer le rôle du père. Ses tableaux et ses livres étaient les projections d’une âme révoltée contre les autorités politiques et religieuses, à l’origine de l’emprisonnement de son père. Il écrivit plus tard dans Le  prophète : » Celui qui a les mains blanches ne les a pas pour autant propres dans une sale affaire…..Souvent, sur le dos du condamné, se décharge celui qu’on ne peut inculper et qui reste non blâmé ».
Khalil Gibran se sentait presque orphelin : il trouvait dans le Christ un héros, son image a toujours été présente dans sa vie artistique et littéraire. A la fin de sa vie, il écrivit un livre sur le Christ intitulé  Jésus , le fils de l’Homme .

Un jour, KG adressa une lettre à sa bien-aimée :« Les personnes auxquelles je dois le plus sont au nombre de trois : ma mère parce que je lui dois la vie, toi, Mary Haskell parce que tu as eu foi en moi et en mon œuvre, et mon père qui a éveillé en moi l’esprit du combattant ».

1-Son père

Il garda un souvenir très douloureux de son père qui se montra très dur envers son fils. Collecteur de taxes, il voulait l’associer à son travail. Le petit Khalil le suivait partout dans ses déplacements professionnels, rencontrant les nomades et les bergers. En revanche, sa mère voulait que ses enfants aient la meilleure éducation pour les éloigner de la pauvreté et de la misère.

Le père du petit Khalil était un homme robuste, au charme considérable, qui aimait faire la fête. Il ne reçut qu’une éducation élémentaire. Il avait en lui un cœur d’enfant, conscient de la valeur de la liberté dont il avait hérité de ses ancêtres.
Malgré la dureté de son père, Khalil garda un bon souvenir de celui qui éveilla en lui l’esprit de tolérance envers d’autres cultes et d’autres religions.
Un jour, le petit KG jouait derrière la maison, quand un homme étranger, à dos de mulet, chargé de deux outres, se mit à crier :« La bonne huile d’olive ! ». Une vielle dame sortit alors de chez elle, un long chapelet de prière à la main. S’approchant de l’homme, elle lui demanda de goûter l’huile, avant de fixer un prix.  Après un long marchandage, le prix fut enfin établi.
La vieille dame apporta une bouteille vide. Au moment où le vendeur ambulant la remplit, la vieille dame l’interrogea sur sa religion :
Je suis grec orthodoxe, répondit-il.
Lorsque la vieille dame entendit le mot « orthodoxe », elle perdit sa raison, lui arracha la bouteille des mains, en faisant plusieurs fois le signe de croix, et refusa absolument d’acheter l’huile.
Le petit KG, qui avait assisté à toute la scène, courut voir sa mère pour la questionner :
– Quelle est notre religion, maman ?
– Nous sommes maronites, mon fils !
– Quelle différence y a-t-il entre maronites et orthodoxes ?
– Il vaut mieux, mon fils, que tu poses cette question à ton grand-père, car il est prêtre et sait mieux que moi.
– Est-ce vrai que le Seigneur nous arracherait à la vie si nous achetions de l’huile à un orthodoxe ?
– Bien sûr que non, mon fils !
Son père entra enfin. Il voulut acheter la même huile. Non seulement il l’acheta sans difficultés, mais il sympathisa avec le marchand, échangea une longue conversation avec lui et enfin l’invita à dîner. Le petit KG se mit alors à danser de joie. Le marchand d’huile reprit son chemin en couvrant le père de remerciements pour sa gentillesse et sa générosité. Le petit KG fut ému aux larmes.
Cette image de l’intolérance de la vieille dame et de la tolérance de son père envers le marchand d’huile, l’aida plus tard à dessiner et à écrire au sujet des religions.
Voici un  extrait de son livre  » Le Prophète » :
« La religion n’est-elle pas toute action et toute réflexion ?
Qui peut séparer sa foi de ses actes ou sa croyance de ses occupations ?
Qui peut étaler son temps devant lui en disant :
 » Ceci est pour Dieu et cela pour moi; ceci est pour mon âme et cela pour mon corps ? »
Votre vie quotidienne est votre temple et votre religion.
Lorsque vous y entrez, prenez-vous tout entier avec vous.
Et si vous voulez connaître Dieu, regardez le ciel et vous Le verrez, marchant dans les nuages, ouvrant les bras dans les éclairs et descendant avec la pluie.
Vous Le verrez, souriant dans les fleurs, puis se levant et agitant ses mains dans les arbres ».

L’un de ses dessins représente toutes les religions du monde. Le disque solaire apparaît au-dessus des religions. Le Christ crucifié figure devant. Selon Akhénaton, fondateur de la religion monothéiste, le disque solaire est source de toutes les religions.

2-Sa mère

Comment s’appelait-elle? Kamila qui signifie en arabe parfaite Son père s’appelait Istefan qui signifie en hébreu  une couronne, d’origine araméenne, qui correspond à Stéphane (Etienne en latin). Le nom de son grand-père était Rahma : qui signifie  en araméen grâce, miséricorde.
Son père était prêtre maronite.
Khalil Gubran considérait sa mère comme son amie et confidente. Elle avait une forte personnalité. Il se sentait mieux avec elle qu’avec son père :
« Quatre-vingt dix pour cent de mon caractère et de mes inclinations viennent de  ma mère, sauf que je ne puis me targuer d’avoir sa douceur, sa gentillesse et sa générosité ».
C’était une personne indulgente et aimable, ambitieuse pour ses enfants. Elle possédait une intelligence et une sagesse qui eurent une énorme influence sur lui. Parlant couramment le français, artiste et musicienne, elle enflamma son imagination avec les contes et les légendes du Liban, et les histoires tirées de la Bible qui pénétra ses écrits.
Après l’arrestation de son père, sa mère fut en proie au désarroi. Que faire? Où aller? Comment nourrir quatre enfants quand on est sans ressources? Elle pensa alors à émigrer. Nombre de ses concitoyens, échaudés par la crise économique et par des taxes de plus en plus accablantes,  trouvaient refuge sous des cieux plus cléments.
Elle décida alors de quitter Bacharri pour s’éloigner de la misère. Elle vendit des objets hérités de son père afin de couvrir les frais de leur voyage aux Etats-Unis.
Habituellement, l’homme une fois établi, y installait sa famille. Mais sa mère fit exception. Elle décida de quitter son mari et le fit venir plus tard à Boston.
La famille arriva dans le Nouveau Monde le 25 juin 1895 et s’établit à Boston dans un quartier chinois, très populaire et pauvre.
Boston fut pour KG un lieu d’initiation, le début de l’ascension vers le temple de gloire et la célébrité.
Il travailla au Studio  de photographie DAY où il posa, recommandé par la directrice de l’école de Boston. Entre-temps, Mr Day prit contact avec l’éditeur Marvin qui s’intéressa à ses peintures Il se chargea de l’illustration des livres et des couvertures pour un salaire très bas.
Mr DAY découvrant que KG avait une grande soif de connaissance, et qu’il était également intéressé  par la poésie, lui conseilla de retourner au LIBAN pour parfaire sa langue maternelle. Connaissant sa situation matérielle précaire, il proposa de contribuer aux frais de voyage et de séjour pendant quatre ans.
KG entra à l’école de sagesse de Beyrouth de 1898 à 1901. Il était en conflit continuel avec son père qui considérait que l’art et la littérature n’étaient pas un sérieux gagne-pain. Il voulait à tout prix que son fils devienne un commerçant, ou qu’il exerce un autre métier qui puisse l’éloigner de l’art et de la poésie, synonymes pour lui de pauvreté et de tristesse.
KG écrivit un jour à son père :« Je suis venu sur terre pour écrire mon nom sur la face de la vie en grosse lettres. Je ne suis pas né commerçant ou banquier, mais je suis un élève de l’école de la vie, j’y remplis ma vie de joie, je souhaite à tout moment être un berger qui se déplace avec son troupeau d’un endroit à un autre, soufflant dans sa flûte à l’ombre des arbres, couchant à la belle étoile près des rocher ».
Ce conflit lui inspira les vers suivants :
« Vos enfants ne sont pas vos enfants.
Ils sont les fils et filles de la vie qui soupire après elle-même.
Ils passent par vous, mais ne viennent pas de vous.
Vous pouvez leur donner votre amour, mais pas vos pensées.
Car ils ont leurs propres pensées.
Vous pouvez loger leurs corps, mais non leurs âmes.
Car leurs âmes habitent la demeure de demain, que vous ne pouvez visiter même en rêve ».

A Boston, Kamila, la mère de Khalil Gibran travaillait très dur, jour et nuit, pour satisfaire les besoins de sa famille. L’atmosphère du quartier et le manque de confort devenaient pesants. La santé de Kamila, ainsi que celle de son demi-frère, se détériorèrent. Ils moururent tous les deux la même année, en 1902.
KG décrit ainsi les derniers jours de sa mère : « Son visage n’indiquait jamais le moindre signe de souffrance. Son esprit était clair; son âme commandait à son corps, et elle vécut sa véritable vie jusqu’à la fin. La veille de sa mort, elle parlait du mysticisme de Thomas d’Aquin et de Sainte Thérèse ».
Il lui a rendu un hommage dans son roman  » Les Ailes Brisées « :
« Le plus agréable de tout ce que les lèvres de l’humanité peuvent prononcer est le mot mère .
Et le plus bel appel qui puisse exister au monde est maman.  La mère est tout dans cette vie.
Elle est la consolation dans le chagrin, l’espérance dans le désespoir, et la force dans la faiblesse. Elle est le pardon. Celui qui perd sa mère perd un cœur sur lequel il repose sa tête. Il perd une main qui le bénit et un œil qui veille sur lui.
Tout dans la nature parle de la mère : le soleil, mère de la terre,
La terre, mère des arbres et des fleurs,
La mère de toute chose, c’est l’âme universelle, éternelle, remplie de beauté et d’amour.
Le mot « mère » se cache dans nos cœurs comme se cache la graine au fond de la terre ».

Voici un passage sur la mort dans « Le Prophète » :
« Vous voudriez connaître le secret de la mor. ?
Mais comment le trouverez-vous sinon en le cherchant dans le cœur de la vie?
La chouette, dont les yeux faits pour la nuit sont aveugles au jour, ne peut dévoiler le mystère de la lumière.
Si vous voulez vraiment contempler l’esprit de la mort, ouvrez amplement votre cœur au corps de la vie.
Car la vie et la mort sont un, de même que le fleuve et la mer sont un.
Dans la profondeur de vos espoirs et de vos désirs repose votre silencieuse connaissance de l’au-delà.
Et lorsque la terre réclamera votre corps, alors vous danserez vraiment ».

Dans l’une de ses peintures, il présente un portrait de sa mère derrière lequel se cache une lionne, symbole de courage.

Après la mort de sa mère, KG entra en déprime. Il souffrait en silence, douloureusement, conscient que ses rêves étaient brisés.
Lors de ma conférence, j’ai parlé des personnes envers qui il se sentait  redevable : son père, sa mère, Mais avant de présenter la troisième personne, voici un signe de reconnaissance, envers les femmes, car Khalil Gibran n’a jamais nié l’influence des femmes dans sa vie:
Je dois à la femme toute ma vie, Les femmes ont ouvert les fenêtres de mes yeux et les portes de mon esprit. Sans la Femme-mère, sans la femme-sœur, sans la femme-amie, j’aurais sommeillé.
Marie qui signifie en araméen pieuse, Élisabeth qui signifie en hébreu le temple de Dieu. son Ange Gardien.
Mary Haskell était une femme remarquable qui joua un rôle central et primordial dans la vie de Khalil Gibran. L’Ange gardien qui lui donna le sentiment de ne pas être un étranger dans une terre étrangère.
KG avait 21 ans en 1903. Il était triste et désespéré. Le destin lui envoya la seule personne capable de mettre du baume sur son âme blessée et qui le connaissait parfaitement. Mary fut son inspiratrice, sa protectrice, qui avait foi en lui et en son travail.
Comment KG rencontra-t-il cette femme? Lors d’une exposition personnelle en 1904 au studio Day, Khalil Gibran  présenta ses peintures et ses dessins.   Le dernier jour de l’exposition, Mary vint voir ses œuvres, examinant    avec attention, et d’un oeil critique, l’ensemble de ses tableaux.  Khalil Gibran devina  dans ses yeux  la joie et le contentement et comprit que sa peinture l’avait  touchée.
Il l’aborda et lui proposa avec enthousiasme de lui expliquer la signification de ses tableaux, remplis de symboles.
Mr Gibran, de quel pays venez-vous ? demanda-t-elle.
Je suis libanais.
Elle se présenta à son tour : « Je suis Mlle Mary Élisabeth Haskel, Directrice de l’École de filles à Boston.
La relation entre Mary et Khalil devint de plus en plus intime et forte. Chacun d’eux fut touché par la grande  générosité de l’autre, et y trouva beaucoup de consolation. Mary apportait la paix et la sérénité à KG. Elle était la personne idéale avec laquelle il souhaitait faire désormais un voyage vers la création et la gloire.
Les deux amoureux commencèrent à échanger de remarquables correspondances qui enrichirent leur esprit, élargirent leurs connaissances et semèrent les graines de l’amour dans leurs cœurs.

Mary était très consciente des problèmes que rencontraient les étrangers sur le sol américain.
1- Grâce à Mary, KG améliora  sa connaissance de l’anglais.
Comme la plupart des étrangers, il ne connaissait pas parfaitement la langue de son pays d’accueil. Mary en était consciente. Elle lisait avec lui les poètes favoris pour améliorer sa prononciation anglaise, puis elle lui dictait souvent quelques pages, traduisait avec lui les textes écrits dans sa langue maternelle, révisait et corrigeait ses textes. Ces écrits seront la base des articles, conférences et causeries organisées lors de réunions privées ou officielles à Boston et plus tard à New York. Elle continuera à corriger ses écrits même après  1926 (date à laquelle elle épousera l’un de ses proches).
2- Grâce à Mary, KG put s’intégrer dans la société américaine:
Elle le présenta à un cercle d’amis et de relations influentes. Ainsi, KG parvint à élargir ses relations sociales, ses connaissances spirituelles et intellectuelles. Il s’entoura de personnes dont il aimait être le centre d’attraction. Pour cela il fréquenta des gens riches et célèbres.
Lors de la publication de son livre  » Le prophète « , Mary joua un rôle très important pour faire connaître l’ouvrage au grand public, ainsi qu’à la presse, à la radio et aux églises américaines.
3- Grâce à Mary, KG améliora sa peinture et son dessin :
Quelques semaines après sa première rencontre avec KG , Mary l’invita à exposer ses tableaux dans son école. Introduit dans le milieu scolaire, pour faire des portraits devant les élèves, KG commença à vendre ses oeuvres.
Mary le présenta également aux galeries d’arts et aux journalistes.
Elle lui proposa de prendre en charge un séjour de plus de 2  ans à Paris. Il fréquenta l’école des Beaux Arts oùr il améliora ses dessins et sa peinture. Mary fut également son agent artistique pendant son séjour à Paris..
4- Grâce à Mary, nous connaissons tout de la vie de KG:
Mary écrivait son journal intime. Elle allait au musée ou au théâtre avec KG deux ou trois fois par semaine. Il y rencontrait les amis de sa protégée.
Dans son journal, Mary relatait leurs conversations sur différents thèmes. Ce journal est considéré comme une petite encyclopédie.
Voici ce que Mary a écrit sur son ami :

« KG peut être considéré comme un être éclairé dont les dieux se servent afin de produire une oeuvre abondante pour le bénéfice des générations futures.
Les Américains ne savent pas encore que KG est immense.
Il a quelque chose à offrir à l’humanité.
KG fait partie de cercles où sont rassemblés le Christ, Bouddha, Michel-Ange, Shakespeare et d’autres tout aussi grands.
Il voit et crée le futur – et détruit les choses mortes du présent ».

Voici ce que pensait KG de son amie :

« Sais-tu, Mary, que je pense être un enfant abandonné, et toi tu m’as assuré un bel avenir.
Tu me donnes la vie. Tu es comme l’esprit universel.
Tu sais, Mary, que je trouve en toi la beauté absolue. Tu sais, Mary, que j’utilise ton visage dans mes dessins.
J’espère qu’un jour viendra où je pourrai dire : Je suis devenu un artiste grâce à Mary Haskel « .

GK arrive à Paris le 13 juin 1908. Il  habite dans le 14ème arrondissement de la capitale.

Il écrit à l’un de ses amis :

« Ma présence ici, à Paris, est liée à celle d’un Ange. Elle prend la forme d’une femme qui me conduit à un avenir radieux et qui déploie mon chemin vers le succès littéraire et artistique.
A Paris, je suis né une deuxième fois ; à Paris, j’aimerais passer le restant de mes jours, mais ma tombe sera au Liban. Un jour, je reviendrai à Paris  pour  nourrir mon cœur affamé et désaltérer mon âme assoiffée. J’y reviendrai manger son pain nourricier et boire son vin magique ».
A Paris, KG rencontrera également deux grands écrivains qui influenceront sa vie littéraire et artistique : William Blake, et le grand philosophe allemand Nietzsche qui a eu sur lui une énorme influence grâce à son livre « Ainsi parlait Zarathoustra ».
KG retournera à Boston le 22 octobre 1910.
En avril 1911, KG décida de quitter Boston et de s’installer à New York. Mary venait lui rendre visite de temps en temps.
Il lui déclara : « Je suis avide de me faire une réputation en Amérique. C’est ici, à New york, que je dois être ».

Quelques jours après son arrivée, il réussit à établir des contacts très utiles. Le compositeur Arthur, un vieil ami de Mary, lui fit connaître des directeurs de galeries et des marchands de tableaux, tandis qu’un ami libanais lui demanda d’illustrer un de ses ouvrages.
Ses lettres à Mary sont enthousiastes:  » Je regarde avec mille yeux et j’écoute avec mille oreilles, tout au long du jour ».

A suivre……..

Ses derniers jours sur terre:
Après la parution du Prophète en 1923,  KG connut un certain bien-être moral, mais sa santé ne cessait de décliner. Il fumait sans cesse comme son père, buvait entre 20 à  30 tasses de café par jour, et de l’alcool le soir.
Il travaillait beaucoup. Il dessinait le jour et écrivait la nuit, laissant son énergie se répandre dans le travail, sans ménager sa santé.

Lors de ma conférence, je vous ai rappelé que KG est né comme le Christ le 6 janvier. Il meurt le 10 Avril 1931, Vendredi Saint dans l’église orientale. A l’âge de cinq ans et quatre mois, un Vendredi Saint, il se réveilla en sursaut, voyant son demi-frère Botros (Pierre, origine grecque) entouré de ses camarades, tous nu-pieds, sur le point de sortir de la maison. Il demanda à son frère:“Où allez-vous?” Il lui répondit qu’ils allaient gravir la montagne pour « souffrir » avec le Christ et en rapporter des fleurs afin de les poser sur le crucifix, lors de la cérémonie funéraire à l’église.
Le petit Gibran supplia son frère de le prendre avec lui mais ce dernier refusa.
Il s’effondra en larmes. Sa mère ne put le consoler ni avec des raisins secs, ni avec des promesses. Soudain son père se leva et le renvoya se calmer dans le jardin en s’écriant: “Tu ne vas pas me priver du plaisir de mon café et de ma cigarette de bon matin !”
Le petit KG disparut au coucher du soleil. On le retrouva enfin derrière l’église, au milieu du cimetière, tenant à la main un bouquet de fleurs. La colère de sa mère se transforma en tendresse et en amour, lorsqu’elle entendit l’enfant s’exprimer : « Je suis parti seul dans la campagne pour ‘souffrir’ avec Le Christ. Mais quand je suis arrivé à l’église pour y déposer les fleurs que j’avais cueillies, l’église était fermée. A ce moment-là, je me suis rendu au cimetière pour y chercher la tombe du Christ, mais je ne l’ai pas trouvée ».
Plus tard, KG se retira chaque Vendredi Saint, jusqu’au dernier jour de sa vie, pour méditer sur le mystère de la Crucifixion.

Le lendemain,  samedi 11 avril, son cadavre momifié fut transporté à la Maison Funéraire Mondiale à New York où il fut  exposé pendant deux jours.
Le mardi 14 avril, les obsèques furent célébrées en l’église maronite Notre-Dame des Cèdres à Boston.
Le 23 juillet à quatorze heures, le navire emportant son corps quitta  Boston pour sa terre bien-aimée, le Liban. Ce fut  son dernier voyage.
Qui ne se souvient pas de l’instant où il vit pour la première fois la mer ? Voici comment il le raconte :
« J’avais huit ans, ce jour-là. Mes parents m’emmenèrent à la mer. La mer et le ciel étaient d’une même couleur.  Point d’horizon ».
Trente deux ans plus tard, lors de la publication du Prophète, il écrit :
« La mer m’appelle, qui appelle à soi toutes choses, et je dois embarquer.
Et toi, vaste océan, mère endormie,
Qui seul est paix et liberté, pour la rivière et le ruisseau,
Ce ruisseau n’aura fait qu’un méandre de plus dans cette clairière, il n’aura eu qu’un seul autre murmure.
Et alors je viendrai à toi, goutte infinie, ajoutée à l’océan infini ».
Le navire  entra le vendredi 21 août dans le port de Beyrouth. Il y reçut  un accueil chaleureux, par une foule immense. Certains disaient :“Gibran est un prophète”, et d’autres :“Le livre du prophète, c’est l’évangile selon Gibran, dans certaines églises américaines”. Le livre « Les esprits rebelles » qu’il publia en 1908, fut brûlé publiquement par les autorités politiques et religieuses. Il fut exclu de l’église maronite. Maintenant, on célèbre sa mémoire  dans l’église Saint-Georges à Beyrouth, en présence d’hommes politiques et religieux.
La sœur de KG, Mariana, acheta le couvent de Mar Sarkis, où KG fut enterré.
« Ce qu’aujourd’hui j’accomplis dans la solitude, demain la multitude s’en fera l’écho. Ce qui aujourd’hui n’est dit que par une seule langue, demain sera dit par des milliers de langues.Et même si la mort devait me dissimuler, et le plus grand silence m’envelopper, je chercherai encore à me faire comprendre.
Et je ne chercherai pas en vain. Et si ce que j’ai dit est la vérité, cette vérité se fera connaître d’une voix plus claire, et avec des mots plus familiers à vos pensées ».
KG fit écrire sur sa tombe : « Si vous vous arrêtez devant ma tombe, saluez la terre qui enlace mon corps. Evoquez mon nom avec ferveur!
Je suis venu ici pour prendre le parti de tous et pour être avec tous, et ce que je dis aujourd’hui dans ma solitude sera répété demain par l’écho de la multitude.
Ce que je dis maintenant avec un seul coeur sera dit demain par des milliers de cœurs ».

Une réflexion au sujet de « Conférence sur Khalil Gibran »

Répondre à prace na zlecenie Annuler la réponse.

Votre adresse de messagerie ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *